Un président ne devrait pas aller là ? (de François Hollande et de sa dédicace chez Leclerc)

Romain Pigenel
3 min readMay 12, 2018

L’affiche interpelle. Un ancien président de la République en dédicace dans un « espace culturel » Leclerc. « Du Flamby en vente entre les produits frais et les pompes à essence ! ». L’image fait le tour des réseaux sociaux, Twitter éructe en gausseries, la presse se saisit de l’affaire, d’indignation en contre-indignation. Pour ceux qui n’ont toujours pas digéré le quinquennat Hollande, l’occasion est trop belle de remettre un coup de pelle sur la tête découronnée, rangée au rayon « destockage » en décembre 2016.

Un ex-chef d’Etat à l’hyper du coin ? L’aboutissement ultime de la présidence normale. Une mise sous les projecteurs d’une France qui n’intéresse plus beaucoup, à l’ère du retour des chasses présidentielles. La France des parkings qui sentent le gasoil, où les caddies slaloment entre ventes flash de mobilier de jardin et affiches de promos aux couleurs fluo. François Hollande agace et fédère les exaspérés : des gardiens du temple culturel, qui voient en Leclerc le bourreau des librairies indépendantes, aux apôtres de la verticalité du pouvoir, qui veulent un maître plus qu’un président de la République ; sans parler des évangélistes de la startup nation, qui préfèrent l’horizontalité d’un Facebook live à celle de la table de signature, devant une file de badauds en rangs d’oignons, entre le dernier Harlan Coben et la réédition de 50 Nuances de gris.

Ni Saint-Germain, ni l’Amazon(.com). François Hollande tel qu’en lui-même, celui « qui aime les gens », et qui avait quelque peu disparu pendant son séjour élyséen. Chaleureux, toujours une pique à la bouche, impassible sous les railleries, sillonnant la France pour des séances de dédicace à succès, confirmant les ventes surprises de son livre de souvenirs. Personne — et c’est notable — ne soupçonne ou ne dénonce le coup de com’, tant l’opération est en phase avec l’image de son auteur. Ce qui démontre s’il le fallait l’habileté en la matière de celui que l’on avait (non sans raison) surnommé « l’homme sans com’ », du temps où il était empêtré dans la nasse de plomb de la présidence. « Libéré, délivré » (CD en OFFRE SPECIALE ! au rayon musique) des obligations de la magistrature suprême, l’ex-Premier secrétaire du PS renoue avec le charisme bonhomme qui a fait sa force comme candidat.

Et alors ? Son ancien conseiller est solidement installé à la tête de la France, l’opposition est en miettes, tandis que le parti socialiste se débat avec son héritage. Il ne penserait quand même pas à une improbable remontada, lui qui n’avait même pas pu se représenter … ? On en est loin. Reste que dans le désert politique national, ceux qui ne sont pas en marche, ou qui n’aspirent pas forcément à devenir des milliardaires, se sentent bien seuls. Et que la nature a horreur du vide. Comme je l’expliquais à Jean-Philippe Denis, de l’hyperprésidence sarkozyste à la normalité hollandienne au « France is back » macronien, la vie politique nationale a systématiquement fonctionné, ces dernières années, en mouvements de balanciers contraires, de répulsion en répulsion. Peut-être adviendra-t-il un moment où les derniers de cordée se fatigueront de la course à la réforme, et se tourneront, sans nostalgie mais sans rancœur non plus, vers ce qui incarne un contre-modèle.

En attendant, François Hollande laboure patiemment. Et peut remercier ceux qui s’acharnent à fustiger son costume de président de ZAC. On n’appuie jamais assez fort sur la charrue.

Romain Pigenel

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Romain Pigenel

Enseignant en communication politique à Sciences Po, ex-conseiller du président de la République et directeur adjoint du SIG. http://romainpigenel.fr